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LACROIX : Les secrets de l'atelier Art & Parfum

En pays de Grasse (5/6) Les secrets de l’atelier Art&Parfum

Vue de la Côte d’Azur et de la Méditerranée, depuis les hauteurs de Cabris (PB)

Nous voilà sur les hauteurs de Grasse, un peu à l’extérieur du très pittoresque bourg de Cabris. Un endroit de rêve qui regarde la Côte d’Azur et la Méditerranée. C’est là que se cache, dans un jardin aussi magnifique que pentu, le très discret atelier Art & Parfum, géré par Olivier Maure.

Villa Médicis

C’est une sorte de « villa Médicis » de la parfumerie. Ce lieu a été créé en 1946 par Edmond Roudnitska. Cet esprit indépendant qui se voyait, dans sa jeunesse, chanteur d’opéra, est devenu un parfumeur mythique. C’est lui qui a composé « Femme » en 1944 pour Rochas puis, d’autres parfums, toujours pour Rochas, avant d’en composer pour Dior puis pour Hermès.

Si le nom d’Edmond Roudnitska est associé à plusieurs parfums qui ont marqué l’histoire de la parfumerie, c’est « Femme » qui l’a lancé et a assuré sa gloire voire sa fortune. « Au départ, ce parfum a été vendu par souscription. Il a tout de suite eu un succès incroyable ! », raconte Olivier Maure.

L’argent gagné avec « Femme » a permis à Edmond Roudnitska d’acheter 12 hectares sur les hauteurs de Grasse et d’y faire construire maison et ateliers. Ils sont devenus un lieu de séjour et d’échanges entre parfumeurs et le sont restés sous la houlette de Olivier Maure.

Le jour de notre visite, deux parfumeurs, amis de longue date, s’y sont retrouvés autour d’Olivier Maure : Jean-Claude Delville qui travaille d’habitude à New York. Et Norbert Bijaoui, qui vit à Paris.

A New York, pas de roses centifolia à humer ! (Photo OT Pays de Grasse)

« Se ressourcer » Tous deux sont amis depuis quarante ans et ne se sont jamais vraiment quittés, même si chacun a tracé son propre chemin. « Je suis ici pour me ressourcer, vivre comme j’aime, partager des émotions, sentir de belles choses. A New York, je n’ai pas l’occasion de renifler les roses et le jasmin. Il faut aller sur le terrain et parler aux hommes qui ont les mêmes passions », confie Jean-Claude Delville qui se présente, avec modestie, comme un « petit nez ».

Tout comme Norbert Bijaoui, il travaille en indépendant et compose des parfums pour les grandes marques qui le consulte. Lesquelles ? Il n’en dira mot, secret professionnel.

« C’est un art »

Tous deux ont la même conviction : « composer un parfum, demande de s’impliquer énormément. Et, c’est tout un art ». Faire connaître qu’il s’agit d’un art a été le combat de toute la vie de Edmond Roudnitska, également auteur du premier « Que sais-je ? » consacré au parfum. « Le parfum, c’est une oeuvre de l’esprit, un mode d’expression artistique. Il faut être capable d’imaginer une odeur qui n’existe pas », soulignent les deux « nez », avant de déplorer que « cet art n’ait jamais été reconnu à sa juste valeur ».

Autour de l’atelier Art&Parfum, un jardin exceptionnel. Et une vue éblouissante (PB)

Tous deux séjournent, ici, à Speracedes, sur les hauteurs de Grasse, depuis plusieurs jours pour « récupérer des émotions ». L’atelier Art &Parfum, est pour cela un endroit idéal. Situé dans un cadre idyllique et chargé d’histoire, c’est aussi une véritable caverne d’Ali Baba où arrivent des échantillons de matières premières de toutes sortes ! Ils peuvent donc « s’y ressourcer » et y sentir de « nouvelles molécules ». Ce n’est cependant pas à Cabris qu’ils composent à proprement parler de nouveaux parfums. Jean-Claude Delville, par exemple, a son laboratoire à New-York. Dans ce laboratoire se trouve un orgue à parfums. C’est un meuble professionnel sur lequel sont disposés en demi-cercle, sur trois tablettes superposées, des flacons de matières premières, d’innombrables extraits de fleurs, de feuilles, etc., des senteurs de base (je l’écris avec mes mots, pas avec ceux des professionnels), rose centifolia, jasmin, musc, vetiver, figue, neroli, santal, etc. etc. Bref, tout ce qu’il faut donc pour composer un nouveau parfum en mixant certaines de ces fragrances et en dosant, bien sûr, les quantités pour obtenir l’effet recherché ou plus exactement le nouveau parfum imaginé. A noter que, comme il travaille avec Olivier Maure, ce sont « des échantillons de toutes les qualités » dont dispose l’atelier Art & Parfum qui se trouvent sur l’orgue à parfum de Jean-Claude Deville. Et, c’est seulement avec ces qualités-là qu’il compose.

L’ordinateur aussi Evidemment, Jean-Claude Delville utilise aussi un ordinateur et des logiciels spécialisés. Il dispose ainsi en temps réel de toutes les informations nécessaires sur les prix de revient et les règlementations dans les différents pays. Composer un parfum ou plutôt pour parler comme Jean-Claude Delville, « écrire la formule d’un nouveau parfum », est, d’évidence, un art qui s’inscrit dans de multiples contraintes.

Cela n’empêche pas, comme le remarque Norbert Bijaoui, « chaque parfumeur d’avoir son style ». « Un parfumeur y met son âme », insistent d’ailleurs d’une même voix Jean-Claude Delville et Norbert Bijaoui. N’empêche, une fois la nouvelle formule écrite, elle doit être acceptée par le client -par exemple une grande marque- pour lequel travaille le « parfumeur ». Une fois cet accord obtenu, Art & Parfum entre en scène.

Olivier Maure dans son atelier (PB) Préparateur puis chef d’orchestre

« Je suis arrivé, ici, à l’âge de 19 ans, j’ai démarré comme préparateur. Je travaillais avec Edmond Roudnitska et sa femme Thérèse », raconte Olivier Maure. Pendant quinze ans, le jeune homme a appris à leur côté l’art de composer les parfums, mais aussi comment -et où- trouver de belles « matières premières ».

Lorsqu’ Edmond Roudnitska est décédé, son fils a d’abord pris la suite, avant de passer la main. C’est alors qu’Olivier Maure qui ne se sent pas l’âme d’un parfumeur, d’un « nez » comme on dit dans le jargon du métier, a créé, sur les hauteurs de Cabris, cet atelier de production dédié au service de parfumeurs indépendants. En dix ans, une quarantaine d’entre eux l’ont rejoint dans cette aventure.

Le jasmin, une des fleurs emblématiques de Grasse (OT Pays de Grasse)

Free lance

Le fonctionnement du monde du parfum a bien évolué en effet, souligne Olivier Maure. Il y a quelques décennies, les grandes marques avaient un ou plusieurs « nez » maison, qui travaillaient exclusivement pour elles. Dans les années 1990-2000, les choses ont évolué. « Les « nez » ont été externalisés », comme le dit Olivier Maure. Désormais, les « nez » travaillent souvent en « free lance », c’est à dire en indépendant.

Une fois la « nouvelle formule » écrite par un « nez » validée par son client, le nouveau parfum doit être testé. Il faut donc le fabriquer en petite quantité. Une fois passée l’étape des tests, la production pourra commencer. « Ici, nous fabriquons des concentrés de parfum », explique Olivier Maure. Son atelier se procure en effet auprès des industriels de Grasse mais aussi du monde entier, les « quantités nécessaires » de toutes sortes de matières premières. Sur place, ces matières premières seront dosées selon la formule écrite par le parfumeur et mélangées pour obtenir un concentré du nouveau parfum.

Dans l’atelier Art&Parfum, une partie de la production est robotisée bien entendu. Les concentrés fabriqués sont ensuite envoyés dans le monde entier, dans les usines des clients du « nez » où seront fabriqués les parfums en ajoutant de l’alcool et de l’eau.

« Mais, dans nos contrats, nous reconnaissons de manière contractuelle, la propriété de ces formules aux parfumeurs », assure encore Olivier Maure. « Ici, on se sent en sécurité », renchérit Norbert Bijaoui.

« Il faut aussi avoir le meilleur produit à un moment T, on est dans le vivant. Et Grasse est le seul endroit au monde où on peut trouver une matière première dans l’heure », insiste Jean-Claude Delville.

Avec la rosa et le jasmin, la tubéreuse fait partie de la trilogie gagnante de Grasse (OT Pays de Grasse)

Chance et promesse

Le classement du pays de Grasse au patrimoine immatériel de l’Unesco pour ses savoir-faire liés aux parfums sera-t-il être un atout supplémentaire ? « Ce label est une chance et une promesse. Il dit au monde entier que les experts sont ici. Il nous impose d’être exemplaires et créatifs », commente Olivier Maure, avant d’ajouter : « C’est une grande chance pour notre territoire que les grands marques soient, ici, chez nous et que l’on replante des champs de plantes à parfum ».

A n’en pas douter, pour Olivier Maure de l’atelier Art & Parfum comme pour ses deux amis parfumeurs, le label Unesco est aussi un atout pour mieux valoriser l’art de composer un parfum. Aujourd’hui en effet, les formules des parfumeurs ne peuvent pas être déposées à l’Union internationale de la propriété intellectuelle car elles sont considérées comme des « savoir-faire » et non comme des « œuvres de l’esprit ».

La reconnaissance de l’art de composer le parfum au patrimoine immatériel de l’Unesco permettra peut-être, du moins les trois amis l’espèrent-il, » de tendre vers la reconnaissance des droits d’auteurs, vers la propriété de formules pour les parfumeurs créateurs au même titre que celle reconnue à un musicien ». « La partition olfactive relevant, selon eux, de la même créativité que la partition musicale. »

La mobilisation pour faire aboutir la candidature à l’Unesco a été l’occasion pour tous les acteurs du pays de Grasse, de se parler et de resserrer leurs liens. Manifestement, la mobilisation va devoir se poursuivre pour mieux défendre, au plan international, la propriété intellectuelle de leurs savoir-faire.

(à suivre)

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